Supprimer l’impôt régional sur le travail en optimalisant les recettes immobilières
Proposition des FDF Emmanuel De Bock et Didier Gosuin
pour réformer la fiscalité bruxelloise
Supprimer l’impôt régional sur
le travail en optimalisant les recettes immobilières
Didier Gosuin
Cher de groupe au Parlement bruxellois
Emmanuel De Bock
Député
Introduction
La sixième réforme de l’Etat – et la réforme de la loi spéciale de financement – accentue considérablement la responsabilisation financière des entités fédérées. Quoi que l’on puisse penser de cette réforme, il faut désormais s’inscrire dans cette dynamique.
A moyen terme, Bruxelles va donc devoir compter de plus en plus sur ses seules ressources pour pouvoir financer l’ensemble de ses politiques.
Dans sa déclaration de politique générale prononcée le 7 mai dernier en séance plénière du Parlement bruxellois, le Ministre- Président Rudi Vervoort a annoncé sa volonté de « jeter les bases d’une réforme fiscale (…) en mettant à plat l’ensemble de la fiscalité locale et régionale ». Les FDF souhaitent prendre la balle au bond et déposent une proposition de règlement – puisqu’on vise à modifier la fiscalité régionale mise en oeuvre au niveau de l’agglomération - pour modifier les additionnels à l’impôt des personnes physiques et au précompte immobilier. Objectif : supprimer l’impôt régional sur le travail à Bruxelles en assurant de meilleures recettes immobilières afin que l’ensemble des acteurs bruxellois contribuent équitablement au financement des politiques bruxelloises.
1. Les constats
1.1. La Belgique est le pays où le travail est le plus lourdement taxé.
Le taux belge de taxation implicite sur le travail était, en 2012, le plus élevé d’Europe : soit 43% selon Eurostat. Aux côtés de
l’Etat fédéral, les Régions et les communes participent largement à cette imposition sur le travail. A Bruxelles, la Région prélève, via l’agglomération, 1% de centimes additionnels sur l’impôt fédéral prélevé. De leur côté, les communes bruxelloises prélèvent entre 6 et 7,5% d’impôts additionnels sur l’IPP.
Cela signifie qu’un ménage aux revenus moyens assujetti à l’impôt à Bruxelles et qui paierait 15.000 € d’impôts « fédéraux » sur ses revenus paie un impôt supplémentaire à la Région de 150 €. En fonction de sa commune de résidence, il paiera encore un impôt supplémentaire sur le travail allant de 900 à 1.100 € selon le taux en vigueur à l’échelon communal.
1.2. Une classe moyenne bruxelloise sous pression
A Bruxelles, on constate une grande inégalité dans la structure des revenus.
Entre 2000 et 2007 :
- Le nombre de Bruxellois aux plus faibles revenus (moins de 10.000 € par an) ont quasiment doublé en passant de 19% (à peine supérieur au niveau de la Flandre et de la Wallonie en 2000) à 35% ;
- Les Bruxellois gagnant entre 800 et 1.600 € par mois nets imposables représentent, en 2007, 30,8% contre près de 39,6% en 2000.
- Ces deux catégories représentent 2/3 des Bruxellois (65,8%) en 2007 contre 58,6% en 2000. Pour rappel, en Flandre et en Wallonie, ces 2 catégories représentent respectivement 52% et 59,8% de la population.
Toutes les catégories supérieures sont en diminution relative par rapport à 2000. En revanche, la catégorie des + de 100.000 € passe de 1,1% à 1,4% (l’analyse ne porte que sur les personnes déclarant leurs revenus en Belgique, ce qui exclut d’emblée une partie de la population bruxelloise comme les fonctionnaires européens et internationaux).
Concrètement à l’échelle de Bruxelles, l’ascenseur social est donc en panne. Pire, il y a une érosion fortement marquée des classes moyennes (même supérieures) qui traduit un malaise profond. Il y a un immense risque d’appauvrissement, une aspiration de la classe moyenne vers la précarité, ce qui pèse et pèsera profondément sur la structure des recettes de Bruxelles si aucune réponse n’est apportée.
En 2000, 34,2% des Bruxellois disposaient de revenus de type « classe moyenne ». Sept ans plus tard, ils ne sont plus que 27,2% de la population à pouvoir prétendre à cette catégorie. Soit une diminution de 7%. En clair, cela signifie qu’une partie de la classe moyenne a basculé dans la catégorie des infra-salariés (une partie de ces derniers, par effet domino, ayant basculé dans la précarité) et qu’une autre a quitté la Région bruxelloise qui souffre d’un manque d’attractivité fiscale.
1.3 Les impôts sur le travail rapportent de moins en moins à la Région bruxelloise par rapport au précompte immobilier
Au niveau des recettes régionales à l’IPP (Impôt des personnes physiques), en 1987, la Région comptait 973.499 habitants qui procuraient environ 15.296.837 € d’impôts soit une moyenne de 15,7 €/habitant. Près de 25 ans plus tard, les 1.147.043 habitants procurent une recette régionale à l’IPP de 34.626.000 € soit 30,2 € par habitant. Cela représente une augmentation de 90% entre 1987 et 2013. Il faut mettre cette augmentation en rapport avec l’inflation de 73% sur la même période. En clair, les recettes à l’IPP suivent à peu de chose près la tendance de l’inflation.
On rappellera que le % prélevé est un additionnel et que les impôts fédéraux ont augmenté fortement depuis 1991, ce qui a induit une augmentation de l’impôt régional dès lors que la base fédérale avait augmenté.
En revanche, vu l’appauvrissement de Bruxelles, les exonérations des fonctionnaires internationaux et la fuite des classes moyennes, on peut penser que les classes contributives supérieures ont permis à Bruxelles de maintenir le même niveau de recettes.
Au niveau des recettes régionales au PRI (Précompte Immobilier), en 1987, la Région comptait 973.499 habitants qui procuraient environ 8.458.909 € d’impôts soit une moyenne de 8,7 €/habitant. Près de 25 ans plus tard, les 1.147.043 habitants procurent une recette régionale au PRI de 130.070.000 € soit 113,4 € par habitant. Cela représente une augmentation de 1300% entre 1987 et 2013. Il faut mettre cette augmentation en rapport avec l’inflation de 73% sur la même période.
On le voit, la croissance des recettes au précompte immobilier a été très forte. C’est la vraie richesse de Bruxelles. Plus on construit, plus il y a des recettes objectives pour la Région au précompte immobilier.
Le précompte immobilier par ailleurs est lié à l’évolution de l’indice consommation alors que les salaires le sont sur l’indice-santé, la taxation foncière augmente proportionnellement plus vite que celle sur le travail.
* Pour les besoins de la comparaison, on ramène les recettes PRI par habitant même si, dans la réalité, tous les acteurs économiques participent à l’impôt immobilier. Autrement dit, l’assiette fiscale du PRI (entreprises, personnes non assujetties à l’IPP…) est bien plus large que celle de la population fiscale (soit la population assujettie à l’IPP).
Cela signifie que la recette des impôts au PRI a augmenté près de 7 fois plus vite que celle des impôts à l’IPP (13 fois contre 1.9 fois). Cela a induit un changement complet dans la structure même de l’impôt puisque l’IPP représentait 64% des recettes régionales en 1987 pour à peine 21 % aujourd’hui.
2 La proposition : mieux percevoir l’impôt et détaxer le travail
Aujourd’hui, dans un contexte de rigueur, tout le monde s’accorde à dire qu’il est impératif d’augmenter le salaire poche des travailleurs pour éviter qu’une partie de ceux-ci ne bascule dans la catégorie des infra-salariés ou quitte Bruxelles au profit d’une Région fiscalement plus attractive. Le risque de la dualisation totale de la société bruxelloise existe. Nous l’avons démontré, les classes intermédiaires à Bruxelles sont sur la corde raide. Une grande partie a basculé dans la précarité, l’ascenseur social est bloqué.
Vu l’érosion constante de la classe moyenne et donc de la capacité contributive des Bruxellois, nous pensons qu’il est indispensable de repenser la fiscalité bruxelloise pour viser une meilleure justice fiscale. Comment ? En faisant en sorte que la richesse produite à Bruxelles profite davantage aux Bruxellois. Ce qui signifie faire contribuer le plus grand nombre au financement des services de la ville.
Primo, les Bruxellois s’appauvrissent et sont donc incapables de contribuer seuls aux missions de la ville. Les plus pauvres, de plus en plus nombreux, nécessitent une prise en charge sociale toujours plus importante. Secundo, avec les fonctions internationales de Bruxelles, une partie des habitants de notre Région paie proportionnellement beaucoup moins que les autres leur contribution au prix de l’usage des services de la ville. Tertio, l’exode des classes intermédiaires sur lesquelles l’effort contributif ne cesse de croître, se poursuit.
La proposition des FDF vise donc à assurer une forme de « prime à la vie chère » pour les Bruxellois en « détaxant » le travail sur sa part d’imposition régionale. Afin de ne pas faire perdre de recettes au budget régional, notre proposition vise à déplacer le prélèvement régional de l’impôt sur les personnes physiques (additionnels à l’IPP) vers l’immobilier (via les centimes additionnels sur le revenu cadastral). Cette proposition met en pratique le libéralisme social fiscal dont les FDF se revendiquent clairement.
Cette réforme fiscale permet de contourner certains écueils dont souffre Bruxelles :
1. L’appauvrissement de la population bruxelloise qui entraîne une baisse des recettes fiscales en Région bruxelloise ;
2. L’exode des classes moyennes qui quittent la capitale ;
3. L’internationalisation de Bruxelles qui exonère toute une série d’habitants de l’impôt local sur le revenu (fonctionnaires européens, diplomates, cadres expatriés, etc.) ;
4. Certains processus d’optimalisation fiscale qui permettent à certaines professions libérales d’échapper à une taxation lourde sur le revenu (sociétés).
La réforme est totalement neutre budgétairement. Il s’agit d’un déplacement de l’impôt du travail vers le foncier.
Le procédé s’avérerait profitable :
- Au travailleur propriétaire de son logement et domicilié à Bruxelles ;
- Au travailleur locataire domicilié à Bruxelles (puisque la diminution de leur impôt sur le travail ne pourra être répercutée sur un impôt foncier qu’ils ne payent pas).
Qui payera la note ?
- Les propriétaires qui n’habitent pas Bruxelles ;
-Celles et ceux qui ne payent pas d’impôt sur les revenus en Belgique ;
- Les acteurs économiques (entreprises, commerces…) qui devront supporter une légère augmentation au PRI s’ils sont propriétaires d’un bien mais continueront de déduire cette charge comme c’est le cas actuellement.
Un exemple
Un couple propriétaire de son appartement avec un revenu cadastral indexé de 1.900 € paiera 800 € environ de précompte immobilier par an. La part d’impôt foncier d’Agglo représente environ 140 € (17,5%). Pour compenser la ristourne sur le travail que les FDF proposent, « la détaxation du travail » soit 1% de ses impôts sur le revenu (Agglo), il faudra augmenter de 26% sa part Agglo de son précompte immobilier. Il payera dans l’impôt foncier 175 € au lieu de 140 € soit 35 € d’impôts de plus. Sachant qu’un couple gagnant ensemble environ 50.000 € imposables (2.200 € bruts/mois), paie environ 190 € pour le 1% d’impôt Agglo sur le travail, le gain final pour ce ménage sera de 155 €.
Conclusions
Cette réforme présente donc plusieurs avantages même si elle n’a pas la prétention de résoudre tous les problèmes. Elle place les Bruxellois à égalité avec les expatriés puisque désormais les Bruxellois seront aussi exonérés de la part régionale d’impôts sur le travail.
Elle permet d’élargir considérablement le nombre d’acteurs contribuant au financement des services propres à une capitale. Enfin, cette proposition permet de valoriser au profit des Bruxellois une partie de la richesse produite sur notre territoire.
Mener cette politique au niveau régional est également une dynamique qui devra aussi être insufflée au niveau communal même si, eu égard à son impact, elle devrait s’appliquer à long terme (15 ou 20 ans).
Cette mesure simple favorise le travail sans faire perdre à la Région la moindre recette. On diminue la pression fiscale sur le travail et on impose un système fiscalement plus juste car le plus grand nombre y contribue.
Cette mesure fiscale portera concrètement sur le transfert d’environ 31€ par habitant à l’IPP vers le foncier, soit environ 100 € par ménage.
Enfin, cette proposition peut être considérée comme une prime à la vie chère pour les Bruxellois assujettis à l’IPP et rendre notre Région fiscalement plus attrayante.